Vous vous souvenez peut-être que j'ai étudié à deux reprises le silence, autrement dit l'absence de texte, dans Ritournelle et Au fil de l'eau de Aoi Ikebe, ainsi que dans Emanon et L'île errante de Kenji Tsurata.
Je m'étais aussi intéressée à la façon dont Minetarô Mochizuki cadre volontiers sur les mains et les pieds de ses personnages, en d'autres termes, à l'expressivité des images.
Ce n'est cependant que récemment que j'ai réalisé à quel point ses moments où les images prennent le pas sur le texte me fascinaient.
Cela ne veut pas dire que je n'apprécie pas les mangas bavards tel Kamakura Diary, mais j'aime quand le texte se fait rare, voire est carrément absent, ce qui explique que j'ai accroché à Ichthyophobia qui raconte uniquement en images l'histoire d'un homme ayant peur des poissons et que Gon avec son petit dinosaure énervé qui se bat avec des animaux, sans une seule bulle de dialogue, fasse partie de mes mangas préférés.
Oui, bien souvent, les passages qui me marquent le plus dans les mangas sont dépourvus de texte.
Il y a ce chapitre introductif dans le volume 3 de Pline qui se déroule sous le regard d'un chat et
où le dialogue se fait rare alors qu'autrement, le titre est plutôt verbeux.
Et ce chapitre 37 intitulé "Premiers émois" dans le volume 9 de Simple comme l'amour qui ne contient pas de texte hormis
un menu de restaurant et deux phrases narratives à la toute fin : point
besoin de dialogue pour rendre l'ambiance estivale et faire percevoir
ses fameux premiers émois d'un des personnages secondaires !
Et puis il y a cet avant-dernier chapitre du 11ème et dernier volume des Fleurs du mal de Shuzo Oshimi où on ne trouve qu'un titre de magazine, un bandeau sur un livre, le nom d'une ville, une courte note et le bruit des grillons...
Ou encore l'ultime chapitre du volume 5 de Sangsues, dont les dernières images sont dépourvues de mot, permettent une fin laissée à la libre interprétation du lecteur.
Ce n'est pas un hasard non plus si Fumi Yoshinaga, connue en France pour All my Darling Daughters et Le Pavillon des hommes, est une de mes mangakas favorites. Elle fait souvent un cadrage sur le visage de ses personnages, le répétant sur plusieurs cases, changeant seulement un détail, tel le pli de la bouche.
Makoto Ojiro est, de son côté, plutôt avare en mots, offrant des titres contemplatifs.
Par exemple, dans
Insomniaques, quand le héros et l'héroïne, incapables de dormir, se
promènent silencieusement dans la nuit, le bruit de la canette tombant
de la machine à boisson retentit avec éclat tandis que leur complicité se
perçoit dans les images muettes.
En l'absence de texte, nous sommes invités à regarder de plus près les images.
L'universalité du quotidien est capturé.
Les personnages, sans bulles de pensées, gagnent en intériorité, les traits de leurs visages trahissant leurs émotions.
Le décor se charge en signification, les objets deviennent des symboles.
Et le plus petit texte apparaissant au milieu de ses images silencieuses
prend du poids, qu'il soit mot perdu dans le décor, onomatopée, bulle de dialogue ou
texte de narration.
Au lecteur, de ressentir, d'imaginer et d'interpréter.